... Il est midi: la Manoubia, steamer de la Compagnie transatlantique, lve l'ancre, sort lentement du port et se glisse entre les cuirasss de l'escadre anglaise mouills en rade. On voit encore distinctement les maisons et les casernes, les rues et les squares de la ville, assise au pied du rocher qui derrire elle s'lve, pic, de 1,300 pieds. Sur ce roc strile, brl du soleil, hriss de batteries, les Anglais ont accumul les ressources du confort britannique et tous les perfectionnements de l'dilit moderne afin de se donner au moins l'illusion de la patrie absente. Terre, arbres et plantes, ils ont tout apport, puis ils ont rempli de verdure les crevasses du rocher et tapiss de gazon et de fleurs les talus des ouvrages fortifis. Aussi, du haut de la passerelle, 150 brasses en mer, Gibraltar, avec ses cottages, ses villas, ses jardins et ses promenades, prend un aspect riant qui rappelle une des villes privilgis de la cte de la Corniche. A mesure que la Manoubia s'loigne, les lignes et les teintes se confondent; quelque temps encore le factionnaire anglais apparat comme un point rouge sur le mle blanc; mais le roulement de la vague nous fait sentir que nous sommes sortis de la baie d'Algsiras, et dj nous apercevons la ligne des montagnes du Maroc, une ligne bleu cendr, noye dans la vapeur...
Maurice Palologue (1859 - 1944) tait un diplomate, historien et essayiste franais.